"Nous et les autres, des préjugés au racisme" - Musée de l'Homme, 31 mars 2017 - 8 janvier 2018



Comme un écho à la clameur d’Yves Coppens : « Nous sommes tous africains », le Musée de l’Homme réunit toutes ses compétences pour ouvrir une deuxième grande exposition sur nos différences et nos altérités.


« Nous et les autres » : Qui est le « nous » ? Qui sont « les autres » ?

Ici ce n’est pas « moi » c’est déjà « nous ». Si ce « nous » c’est moi, ma famille, mes proches, dans ce « nous » je ne suis pas seule, il y a déjà les « autres ».

L’ouverture de l’exposition fait suite à la semaine contre les racismes du Musée national de l'histoire de l’immigration tandis que le Musée du Quai Branly expose « L’Afrique des routes ».

Il y a quelques décennies, l’anthropologie physique ou biologique a subi une forte charge qui a presque eu raison de la discipline. Aux détours de connaissances qui méritaient plus d’éthique, élancé par un usage erroné trop répandu, le concept de « Race » se co-contruit sur une extrapolation pluridisciplinaire de la théorie de l’évolution des espèces.

La discipline a survécu. Elle a su développer une éthique de diffusion et redéfinir ses pratiques. Au Musée-laboratoire du Trocadero, l’exposition entame une analyse franche et sans complaisance de ce que l’Occident a développé comme valeurs de supériorité.

Portée par les commissaires Evelyne Heyer(1) et Carole Reynaud-Paligot(2), « Nous et les autres » est opportune et complète. Après avoir réussi à exposer la génétique parmi les collections ethnographiques, le Musée de l’Homme lance une charge forte et virulente sur ce terme de « race » et de ce qui reste des incompréhensions de la diversité humaine présente dans nos sociétés.

Il aura fallu tout ce temps pour que la discipline apprenne à s’exposer et, se faisant, qu’elle prenne le contre-pieds de qui a été utilisé pour légitimer les atrocités de la deuxième guerre mondiale.

Nous sommes au Palais du Trocadéro, au Musée d’Ethnographie devenu Musée de l’Homme, haut lieu de résistance menée, entre autres, par Germaine Tillion et Boris Vildé.
 

Préjugés, histoires, questions

L’exposition démarre par un endroit neutre, un carrefour de rencontres : un hall d’aéroport qui pourrait être aussi celui d’une gare routière ou ferrée. C’est le départ. Dans ce sas, comme on entre en terre étrangère, nous laissons nos préjugés pour partir à la découverte de l’autre.  


On traverse des portails parlants tels des portails de sécurité : « Toi tu as l’air de (…) » « tu es discret et travailleur toi », « toi c’est sûr, tu supportes mieux la chaleur »…

Une fois débarrassé ou tout du moins conscient de nos préjugés, c’est une immensité bleue qui nous accueille.

Le parcours est jalonné d’histoire scientifique, et les fondements du concept de « race » pour classer les hommes. 

(Photographie : "Le Cerveau du nègre comparé avec celui de l'Européen et de l'orang-outan", F. Tiedemann, 1837)
 



En 1685, le « Code noir » utilise déjà le concept de « race » pour légitimer l’exploitation de l’homme par l’homme.


(Photographie : Code noir ou Edit du roi réglementant le statut des esclaves dans les îles françaises d'Amérique, Versailles, 1685 , Centre des archives d'Outre-mer)
 

L’entrée dans cette salle ronde retraçant l’histoire du concept est l’introduction de l’exposition. On perçoit déjà les difficultés à situer l’autre, et plus encore à se situer soi, encore faut-il considérer que mon voisin et moi formons un soi unique… 

On poursuit la traversée dans ce que cette classification des hommes a amené de plus violent et de plus horrible. 
 



Dans un premier cube bleu, on entre dans la terrible ségrégation raciale américaine. 

(Photographie : Plaques de ségrégation en fonte, Etats-Unis- années 1920-1930, Muséum national d'Histoire naturelle - Musée de l'Homme)
 



Un autre cube rouge expose « Le Nazisme et l’obsession de la pureté raciale ».  La grandeur des images ne laisse personne indifférent. Je n’ai pu prendre aucune photo ici. Emotion, respect. L’impact est fort. 6 millions de juifs, puis de tsiganes, de slaves, d’handicapés…


 

Comment l’homme devient-il un tel prédateur pour lui-même ?

De l’horreur est sorti le bien. C’est à cet endroit, au Palais de Chaillot, sur le parvis du Trocadéro, que le 10 décembre 1948 les 58 États Membres qui constituaient alors l’Assemblée générale ont adopté la Déclaration universelle des droits de l’homme.

C’est pourtant cette même année, 1948, que l’Apartheid naissait en Afrique du Sud…

 

Et c’est en Afrique que l’on entre dans un autre cube bleu-vert où s’expose le Rwanda entre héritage colonial et nationalisme. Si ce ne sont pas les vôtres, si ce ne sont pas les miennes, ce sont nos responsabilités ethnocentriques de classification et de différenciation, affirmées par les colons qui sont, en grande partie, à l'origine du conflit. Les Tutsie accèdent aux écoles et aux responsabilités administratives tandis que les Hutue n’accèdent pas aux pouvoirs. Trente ans après l’indépendance, les conflits souvent répétés amèneront à la guerre civile et au génocide rwandais en 1994.

Les autres souffrances de cette incapacité à vivre avec l’autre ne sont pas omises : c’est le Japon qui annexe les Îles taïwanaises en 1895, écrase la rébellion d’indépendance d’Hokkaïdo en 1869, annexe la Corée en 1910.

C’est aussi la situation d’extrême vulnérabilité des Pygmées, déjà hier, encore aujourdhui. Jean Nke Ndih, ami et rédacteur associé d'Anthropoweb, Docteur en anthropologie sociale diplômé de Bruxelles a montré un engagement fort en défendant une nouvelle fois sa thèse de Doctorat en forêt devant les Pygmées sur la Gestion traditionnelle des écosystèmes forestiers par les Pygmées Bakola/Bagieli et voisins bantu face à l’exploitation néolibérale au Sud-Cameroun devant un Jury international, qui l'a consacré en 2015 « Docteur expert ès Traditions africaines, option l’Homme et son environnement naturel  ». 
 

Nous et les autres, Musée de l'Homme, photographie de SHS pour Anthropoweb.com
Nous et les autres, Musée de l'Homme, photographie de SHS pour Anthropoweb.com
On traverse ensuite une nouvelle entrée lumineuse qui rappelle ce qu’est le Musée de l’Homme et son engagement, exposant le rapport contradictoire entre l’humanisme, fondateur de nos sciences, et l’empire colonial qui finance son installation et les missions ethnographiques.

C’est le débat de nos questions :

« Dans 100 ans serons-nous tous métis ? » - Ne l’est-on pas déjà ?

« Que puis-je faire pour lutter contre le racisme ? » - Parler à mon voisin ?

« On vient bien tous d’Afrique ? » - De Chine aussi peut-être ?
 

« Est-ce que la science a quelque chose à dire sur le racisme ? »

Nous et les autres, Musée de l'Homme, photographie de SHS pour Anthropoweb.com
Nous et les autres, Musée de l'Homme, photographie de SHS pour Anthropoweb.com

Oui, beaucoup de choses !
C’est ce qu’elle fait en grande partie quand, dans la suite de l’exposition, on resitue l’apport de la génétique et de nos connaissances des premiers hommes. Les différences entre les hommes sont le fruit de leur adaptation à leur environnement. Les mutations croissent avec l’éloignement géographique ce qui fait de chacun de nous un mélange unique. Nos différences se dissolvent avec nos migrations.

On arrive dès lors dans une grande salle jaune qui offre beaucoup d’éléments de réponse à de grandes questions : « Où en est-on avec le racisme en France ? »  « Vous avez dit discrimination ? » « Intégration ou communautarisme ? » « Est-ce que je serais toute ma vie un étranger ? »…

On aborde une grande diversité de sujets complexes sur « nous et les autres » :
  • La difficulté de légiférer et de condamner les caricatures quand elles deviennent un instrument de propagande au nom de la liberté d’expression,
  • La difficulté d’être ici tout en se situant toujours d’être venu d’ailleurs,
  • La difficulté à lutter contre les préjugés quand les médias véhiculent les stéréotypes et les clichés.

On peut visionner des extraits du film pertinent de Laurence Petit-Jouvet « La ligne de couleur » (http://lalignedecouleur.com/) réalisé en 2014.

L’exposition se termine dans une rue, à une terrasse de café. Chacun peut s’exprimer sur le tableau noir des réflexions :

Etre ici et être toujours venu d’ailleurs...
L’autre est révélateur de soi...


On traverse un mot immense : EGALITE.
 

« Nous et les autres » est porteuse d’histoire et résolument contemporaine. Une vive intelligence a bâti cette muséographie originale, dans la lignée de cet essentiel musée-laboratoire. C’est la deuxième grande exposition temporaire qui prend place du 31 mars 2017 au 8 janvier 2018.

Anthropoweb est très engagé dans nos diversités, nous avons décidé exceptionnellement de laisser ce reportage gratuit et en libre accès.

Notes
1. Evelyne Heyer est Professeur du Muséum national d'Histoire naturelle en anthropologie génétique.
2. Carole Reynaud-Paligot est docteur HDR en histoire à l'Université de Panthéon-Sorbonne.

Photographies et Vidéos
Sophie Haberbüsch-Sueur pour Anthropoweb.com


Pour citer cet article : Sophie Haberbüsch-Sueur : ""Nous et les autres, des préjugés au racisme" - Musée de l'Homme, 31 mars 2017, 8 janvier 2018​", 7 juillet 2017, http://www.anthropoweb.com/Nous-et-les-autres-des-prejuges-au-racisme-Musee-de-l-Homme-31-mars-2017-8-janvier-2018_a882.html, ISSN : 2114-821X, Le Portail des sciences humaines, www.anthropoweb.com   .
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