Socioanalyse / psychanalyse. Du sujet dans la communication
Infos pratiques
du Mercredi 2 Septembre 2015 au Jeudi 30 Juin 2016
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Soumis par : Anthropoweb Edition
Description
L'ambition du dossier est de permettre à des chercheurs venant d'horizons différents de se confronter sur le thème des rapports entre socioanalyse et psychanalyse afin d'expliciter les conceptions du sujet qu'ils engagent dans leurs travaux respectifs. À terme, ce dossier tentera de montrer qu’une approche par la communication du sujet, c’est-à-dire des formes contemporaines de subjectivité et des processus de subjectivation, présente un double intérêt : faire vaciller certains cloisonnements disciplinaires qui entravent la compréhension des vécus associés aux pratiques ; ouvrir un espace d’analyse aux nouvelles formes de subjectivité, à la manière dont se constituent et se rationalisent des éthos dans des champs de pratiques, à la manière aussi dont la division sociale du travail suppose des sujets divisibles, ayant incorporé rien moins que l’ordre social.

ANNONCE

Argumentaire
À l’heure de la spécialisation des savoirs, tenter de faire dialoguer socioanalyse et psychanalyse[1] risque de passer pour un pari ubuesque ou, pire, de relever d’une mode… passée de mode. Qui pourtant, en situation d’entretien de type ethnographique, n’a jamais expérimenté la nécessité de saisir sous l’angle psychologique le matériau empirique pour mieux analyser ce qui se laisse entendre dans ce qui se dit, pour comprendre la manière dont des déterminations inconscientes (au sens freudien) opèrent sur la perception de soi et du monde social ? Et comment ceux qui recueillent les douloureuses équations du désir n’éprouvent-ils pas la nécessité de rattacher celles-ci à des évolutions de la société, des structures familiales, de la parenté, de l’économie, des institutions, pour en comprendre les ressorts ? Les approches anthropologiques de la communication invitent pourtant à mobiliser des sources théoriques que, par routine académique, l’on pourrait juger incompatibles au premier abord. La pureté disciplinaire qui invite à disjoindre socioanalyse et psychanalyse paraît non seulement relever d’un dogmatisme quelque peu aveugle, mais aussi constituer un véritable obstacle à la compréhension des formes contemporaines de subjectivité, à la manière dont les individus sont amenés à se vivre en sujet, aux relations qui les associent et au fil desquelles leurs identités se construisent, aux différences qui les divisent, aux rapports qu’ils nouent durablement à eux-mêmes et à l’ordre social.

L’ambition du présent dossier consiste d’abord à inviter les chercheurs de différents horizons (sociologie, anthropologie, psychanalyse, communication, histoire, science politique…) à renouer le fil d’un dialogue trop tôt rompu. Non pas qu’il n’existe pas, ici ou là, des travaux témoignant de cette volonté de dépassement des cloisonnements disciplinaires[2] mais celle-ci se résume trop souvent à une entreprise individuelle et elle n’aborde pas frontalement la question de la conception même du sujet. Car s’il existe un dénominateur commun entre psychanalyse et socioanalyse et si ce dénominateur commun a valeur de point d’ancrage pour toute anthropologie de la communication, c’est bien dans la conception du sujet qu’il faut le chercher… ou dans ce qui en tient lieu[3].

Pour ce faire, trois axes d’analyse et de problématisation ont été retenus.

Du social au psychique, du psychique au social

Ce premier axe a pour objectif d’expliciter deux séries de questions convergentes :

comment et sous quelles formes l’analyse sociologique et anthropologique saisit-elle l’intériorité psychique ? Quel statut accorde-t-elle à l’inconscient et comment l’appréhende-t-elle ? Qu’est-ce que présuppose et implique la reconnaissance de cet inconscient ? En quoi diffère-t-il mais aussi en quoi s’accorde-t-il avec l’inconscient au sens psychanalytique ?
comment et sous quelles formes la psychanalyse, de son côté, saisit l’intériorisation par le sujet de contraintes sociales « structurantes » ? Comment la subjectivité est-elle instituée, modelée au travers de processus de communication structurants tels que certains rites de la vie sociale et de la vie familiale ? Peut-on travailler sur le(s) sujet(s) de l’inconscient sans confronter la conceptualité freudienne et lacanienne à des évolutions des structures familiales, économiques, sociales qui nous sont contemporaines ? Comment le social advient-il en situation d’analyse ?
Pour préciser ce point, on soulignera que ces questionnements peuvent donner lieu simultanément et complémentairement à des développements d’ordre théorique, basés sur des discussions de doctrine, et à des retours sur expérience mettant au jour la manière dont ces questions émergent de la pratique (pratique d’enquête pour le chercheur en sciences sociales, clinique pour le psychanalyste).

Retour aux textes

On reprend ici la même problématique mais, à partir d’auteurs consacrés et de la manière dont chacun d’entre eux a tenté de résoudre, élucider, déplacer la problématique du sujet pour, au final, en proposer une conception originale s’inscrivant dans le sillage des grandes blessures narcissiques qu’infligèrent Marx et Freud à l’Homme. Si l’on s’interroge par exemple sur les auteurs qui, en sciences sociales, ont su mobiliser avec profit la psychanalyse, on songe immédiatement au cas emblématique de N. Elias qui demeure l’un des rares et des plus prolifiques auteurs à avoir assumé simultanément les héritages de Freud, Weber, Husserl sans trop se préoccuper d’orthodoxie disciplinaire pour le plus grand profit de tous les puristes disciplinés qui aujourd’hui s’en inspirent. On peut aussi se référer à quelques contemporains (dans des registres très différents, V. de Gauléjac[4] ou P. Legendre). Mais n’y a-t-il pas chez un auteur tel que P. Bourdieu qui ne cite pourtant guère la psychanalyse quelque chose comme un envers social de la psychanalyse qui se lit dans son traitement de la question du père, dans sa conception de l’habitus, dans la manière dont il analyse la destinée des agents sociaux, véritable fatum d’une écriture qui les précède, peut-être aussi dans son attrait pour la pensée pascalienne ? Ne décèle-t-on pas dans la conception de l’entretien[5], conçu comme « auto-analyse assistée », un dispositif à la fois similaire et concurrent qui interroge ce qui est en jeu dans la relation analytique ? Les belles analyses qu’il consacra aux fils aînés dans le Béarn[6] rural de ses jeunes années invitent en tout cas à saisir les effets de l’anomie autrement que de manière statistique afin de comprendre comment le désordre social génère souffrances, « casse » subjective, modelant à leur insu l’intimité du vécu des agents.

Réciproquement, ne peut-on déceler chez Lacan, dans l’emprise de l’Imaginaire et du Symbolique, une dépossession du sujet qui est la condition même de sa socialisation ? En d’autres termes, n’y a-t-il pas une anthropologie qui met au jour les raisons pour lesquelles « ça » communique sur un mode qui, fondamentalement, échappe au(x) sujet(s) parce que ce dernier reçoit son être (de l’autre et) de l’Autre, du langage qui lui dit qui il a à être ? N’y a-t-il pas eu aussi chez Lacan un moment durkheimien[7] qui l’avait conduit à scruter les variations des structures familiales et leurs implications sur la structuration des sujets ? Et ne doit-on pas remonter au « mauvais Freud », s’appropriant les poncifs dans l’erre du temps sur la psychologie des foules ou l’esprit grégaire de la plèbe, pour prendre en considération un fait : quand la psychanalyse ne travaille pas la question sociale, s’abritant derrière d’hypothétiques invariants transhistoriques ou recourant aux théories à la mode, c’est le social qui la travaille et en hypothèque la validité ? Dernière question : la clinique n’est-elle pas d’une certaine manière l’observatoire jamais objectivé de vérités sociales qui devraient rester à l’état d’éclats singuliers, comme pour mieux ne jamais faire apparaître une quelconque régularité et renvoyer ainsi le sujet à sa seule singularité d’être désirant ?

Objectiver la subjectivité : sujet, subjectivité, subjectivation

Ce troisième et dernier axe de problématisation se veut plus ouvert à des thématiques contemporaines. Il souhaite surtout montrer que l’approche par la communication de certaines thématiques contemporaines d’ordre anthropologique permet de renouveler le regard porté sur celles-ci à la condition de reconnaître le rôle structurant des processus de communication en montrant notamment que c’est par elle et au travers d’elle que les individus acquièrent leur(s) réalité(s) de sujet au sein de la société. Évidemment, un tel sujet n’a rien d’un cogito (cartésien, kantien ou husserlien) mais s’appréhende comme sujet divisé, agent social, acteur sous l’emprise d’interaction et/ou de relations d’interdépendance… Dès lors, s’ouvre un champ de questionnement associant modes de subjectivation et domaines de pratiques permettant de comprendre comment de nouvelles formes de subjectivité[8] se dessinent dans certaines configurations, au sein de cultures déterminées[9], comment des individus deviennent « sujet » au fil de pratiques instituantes, comment aussi se redéfinissent des identités, se forgent des sentiments d’appartenance, se modèlent des manières d’être, de penser et de s’engager. Saisir les processus de subjectivation sous l’angle de la communication, conditionnant le rapport au monde des individus, invite ainsi à associer psychanalyse et socioanalyse pour élargir la compréhension de nombreux phénomènes contemporains autour de la signification de ce que c’est qu’être (être désirant, être travaillant, être parlant…) pour les individus que nous sommes.

En bref...

Plus fondamentalement, à l’heure où les SHS et, au travers d’elles, l’attention accordée à la communication comme dimension constitutive de la réalité humaine[10] enregistrent le primat de la relation sur toute forme de substance, autrement dit prennent acte de la dissolution du sujet, que reste-t-il des fictions du sujet ? Et comment faire avec ces fictions prégnantes qui nous assignent d’inconfortables positions institutionnelles et psychiques, qui nous forcent à croire en notre réalité de sujet, qui modèlent si fortement nos désirs à notre insu ?

Le dossier se propose donc de montrer qu’une approche par la communication du sujet, c’est-à-dire des formes contemporaines de subjectivité et des processus de subjectivation, présente un double intérêt :

faire vaciller certains cloisonnements disciplinaires qui entravent la compréhension des vécus associés aux pratiques dans les divers domaines de la sexualité, du travail, du rapport à soi et au langage…
ouvrir un espace d’analyse aux nouvelles formes de subjectivité, à la manière dont se constituent et se rationalisent des éthos dans des champs de pratiques, à la manière aussi dont la division sociale du travail suppose des sujets divisibles, ayant incorporé rien moins que l’ordre social.
Références

[1] On esquisse un rapprochement non pas entre la sociologie en général et la psychanalyse en général mais, entre certaines approches sociologiques inspirées notamment par les travaux de P. Bourdieu ou de N. Elias et, par ailleurs, pour faire simple, la psychanalyse d’inspiration freudo-lacanienne. Pour justifier ce rapprochement, un nom et une catégorie peuvent servir de premier fil directeur : C. Lévi-Strauss, le symbolique.

[2] Cf. en ce sens B. Zarca, « Triple démarche pour une transformation de soi. Psychanalyse, socio-analyse et autobiographie », Le Coq-héron, Erès, 2009, n°198.

[3] V. de Gaulejac, « L’injonction d’être sujet dans la société hypermoderne : la psychanalyse et l’idéologie de la réalisation de soi-même », Revue française de psychanalyse, PUF, 2011, vol. 75, n°4.

[4] Vincent de Gaulejac, « La sociologie clinique entre psychanalyse et socioanalyse », SociologieS [En ligne], Théories et recherches, mis en ligne le 27 avril 2008. URL : http://sociologies.revues.org/1713.

[5] Cf. P. Bourdieu, « Introduction à la socioanalyse », Actes de la recherche en sciences sociales, 1991, n°90.

[6] Cf. P. Bourdieu, Le bal des célibataires. Crise de la société paysanne en Béarn, Seuil, 2002.

[7] On fait référence aux analyses de M. Zafiropoulos développées dans son Lacan et les sciences sociales, PUF, 2001 qui met tout particulièrement l’accent sur la période 1938-1953.

[8] Le lecteur peut déceler en filigrane l’influence de problématiques traitées par L. Althusser (Cf. en particulier Sur la reproduction, PUF, 1995) et par M. Foucault (à la fin de sa vie dans ses livres L’usage des plaisirs, Gallimard, 1984, Le souci de soi, Gallimard, 1984 et dans ses cours L’herméneutique du sujet (1981-1982), Gallimard/Seuil, 2001). Plus proche de nous, le vaste projet de réalisation d’une « archéologie du sujet » par Alain de Libera, édité en plusieurs volumes à la librairie Vrin, permettra d’étayer historiquement la réflexion.

[9] Voir en ce sens Le sujet communiste. Identités militantes et laboratoires du moi, sous la dir. de C. Pennetier et B. Pudal, PUR, 2014.

[10] N. Elias, Théorie des symboles, Seuil, 2015.

Conditions de soumission
Il est conseillé aux auteurs souhaitant présenter un article d’envoyer une courte note d’intention (1000/1500 signes environ) à l’adresse suivante : politiquesdecom.revue@uvsq.fr.

Ils peuvent également se reporter au site de la revue : www.revuepolitiquesdecom.uvsq.fr/

Les articles (60000 signes) sont à remettre impérativement

avant le 30 juin 2016.

Reponsable scientifique
Stéphane Olivesi, Pr à la Faculté de Droit et de Science politique de l'Université Versailles Saint-Quentin.
Conseil scientifique
Loïc Blondiaux (U. Paris 1),
Eric Darras (IEP de Toulouse),
Joelle Farchy (U. Paris 1),
Charles Gadéa (U. de Nanterre),
Didier Georgakakis (U. Paris 1),
Fabien Granjon (U. Paris 8),
Pascal Lardellier (U. de Bourgogne),
Chistian Le Bart (IEP de Rennes),
Jean-Baptiste Legavre (U. Paris 2),
Brigitte Le Grignou (U. Paris Dauphine),
Erik Neveu (IEP de Rennes),
Caroline Ollivier-Yaniv (U. Paris Est),
Yves Poirmeur (UVSQ),
Rémy Rieffel (U. Paris 2),
Jean-Claude Soulages (U. Lyon 2).