Le livre de Dominique Pechberty(1) (extrait d’une these soutenue en 1993 à l’INALCO à Paris), est une très intéressante analyse ethnographique, essai de paléoanthropologie comme le décrit l’auteure elle-même, construite à partir de la confrontation entre les textes et témoignages, laissés par les premiers missionnaires (le reverend William Pascoe Crook), ceux des beachcombers (Edwards Robarts ou Joseph Cabri) et des navigateurs (David Porter ou Adam von Krusenstern) qui découvrirent la société marquisienne à la fin du XVIIIème siècle. Le manuscript de Crook ainsi que d’autres textes ont d’ailleurs été traduits en Français par l’auteure, et sont publiés dans la foulée(2).
Ces textes sont une mine d’information de première main décrivant la vie dans ces îles (Karl von den Steinen, premier ethnologue qui documentera la culture marquisienne véritablement, n’y accoste qu’en 1897).
On y découvre ainsi le quotidien des habitants des îles Marquises, relaté par des témoins qui se donnèrent la peine d’apprendre leur langue (pour certains, dans le but de mener à bien leur travail d’évangélisation), et surtout, comment cette société, essentiellement horticole mais hiérarchisée, dévoile ses fragilités par le statut même de ses modes de fonctionnement.
On perçoit ainsi comment cette culture de l’échange, où l’éthique impose de rendre le présent reçu, va conduire la société marquisienne à d’intenses commerces avec l’extérieur. Echanges qui vont finir par bouleverser son habitus et toute l’architecture de ses propres valeurs. Ils lui apporteront aussi, hélas, la confrontation avec des maladies inconnues jusque là des insulaires, dont l’épidémie de variole qui décimera presque la population en 1863. L’auteure s’est attachée à montrer comment l’organisation de l’espace et du temps était centrée sur ce besoin d’échange: celui des vivant avec les morts, règlé par l’entremise des chefs religieux Tau’a, les échanges au sein d’une même vallée et avec d’autre vallées, ceux vers le monde extérieur, et comment tous ces échanges permettent une redistribution générale des biens de consommation, proportionelle au statut de chacun.
On apprend aussi sur les usages quotidiens des Marquisiens, sur la rivalité entre aînés et cadets dans les familles, la perception et organisation de l’espace (les marquisiens s’orientent en rapport à la mer ou à la montagne3), les rites funéraires, les spécificité de la parenté, ainsi que la polyandrie des femmes.
Le manuscrit du Révérand Crook, sur lequel se base l’auteure, et publié dans les Récits de Missionnaires est riche en détails ethnographiques très documentés qui nous aident à mieux percevoir, particulièrement, les arcanes de la notion tapu (tabou) dans cette société.
Notes
1. Pechberty Dominique, 2012,Vie quotidienne aux îles Marquises. D’après des récits de voyageurs durant la période 1797-1842. L’Harmattan, Paris.
2. Pechberty Dominique, 2012, Récits de missionnaires aux îles Marquises (1797-1842), L’Harmattan, Paris.
Pour ce qui concerne les documents et témoignages d’origine, on notera aussi, dans le catalogue de l’éditeur, la présence du livre de Pedro Fernández De Quiròs, Histoire de la découverte des regions australes (Îles Salomon, Marquises, Santa Cruz, Tuamotu, Cook du Nord et Vanuatu), l’Harmattan, 2001, Paris.
3. Ce point est développé dans le travail de linguistique de Cablitz, Gabriele H., 2006, Marquesan : a grammar of space. Mouton de Gruyter Berlin New York.