Aujourd’hui, avec les nouvelles tendances (tatouages, piercings, blanchiment des dents, facettes dentaires…), ne sommes-nous pas en train d’assister à une nouvelle forme d’affirmation d’une identité choisie ?
Dans cette optique, nous allons tenter ici de mettre en exergue différentes pratiques de l’esthétique bucco-dentaire et en donner l’explication traditionnellement admise. Dans un second temps, nous analyserons les conséquences médicales de telles pratiques en intégrant les dimensions socioculturelles et médicales avec pour objectif la promotion d’une meilleure santé orale.
I – Pratique de l’esthétique bucco-dentaire
L'esthétique bucco-dentaire en milieu traditionnel s'exprime à travers des habitudes culturelles et/ou des artifices artisanaux. Ainsi, selon les coutumes, les époques et les lieux, on distingue : le tatouage gingival et/ou labial, les mutilations dentaires, le port de labrets ou de disques labiaux, les piercings, les bijoux dentaires, les colorations ou décolorations dentaires.
* Le tatouage gingival et / ou labial
Plus qu’une mode, cet élément du patrimoine culturel de la plupart des pays de l’Afrique sub-saharienne, est à la fois initiation, critère de beauté, mais aussi pratique thérapeutique. Le contraste de la gencive et/ou des lèvres pigmentées artificiellement en bleu ou en noir par rapport à la teinte des dents, fait apparaître ces dernières plus blanches. Surtout retrouvée chez la femme en Afrique sub-saharienne, elle est un signe d’élégance et de noblesse.
Autrefois, les femmes utilisaient une botte d'épines, mais actuellement elles le font avec une dizaine d'aiguilles à coudre rassemblées en fagot avec lesquelles elles injectent sur la gencive un pigment communément appelée « pimpi ».
Le « pimpi » sera inoculé dans la muqueuse gingivale ou labio-mentonnière. Il en existe trois grandes variétés, qui sont le résultat de la carbonisation : de l’huile (« pimpi huile »), de l’arachide (« pimpi arachide »), ou du pétrole (« pimpi lampe à pétrole »). [4 ; 7]
* Approches socio - culturelles
Au Sénégal
Les femmes plus que les hommes se faisaient tatouer la gencive, cette pratique tendant à disparaître chez les hommes. Les femmes s’y adonnent à des fins esthétique et parfois thérapeutique pour concilier certaines parodontopathies, mais non pour suivre forcément la tradition.
Autrefois, au cours d’une cérémonie qui durait au plus une journée, le tatouage était précédé d'incantations et de rites récités par une femme d'un certain âge et d’une certaine catégorie sociale :"castée" (griotte, « laobé » et forgeronne) « attachée » à la famille ou au village.
Les jeunes filles en âge de puberté s'y adonnaient et les plus courageuses avaient un tatouage labial et gingival bien foncé. C’était un acte de courage (ni pleurs, ni expression de souffrance ne sont admis). La jeune fille tatouée entièrement se faisait l'honneur de rejoindre le domicile conjugal.
En Côte d’Ivoire
Chez la femme akan (un groupe linguistique situé au Centre-Est et au Sud-Est de la Côte d’Ivoire), la gencive doit être naturellement colorée; elle est en général de couleur gris - violacée. Celles qui possèdent tous les traits physiques mais dont la gencive n’est pas colorée auront recours au tatouage. Car il est capital pour la jeune fille d’avoir des gencives totalement noire avant le mariage. C’est une condition à laquelle le prétendant attache une importance particulière. [1]
Au Niger
Le tatouage gingivo-labial est une pratique traditionnelle largement répandue dans les mœurs nigériennes surtout chez les Zarma - Songhaï et les Peuls. Elle intéresse principalement la population féminine et traduit le courage et l’endurance qui ne peuvent qu’ennoblir le statut social de la jeune femme. Ce qui, de surcroît, rend ses parents fiers d’elle, car cette épreuve d’endurance offre à sa beauté un cachet authentique.
Les hommes peuls pratiquent souvent le tatouage labial.
* Les mutilations dentaires : le limage ou la taille des dents
C’est une pratique traditionnelle qui consiste à « tailler » ou à « limer » les dents du bloc incisif maxillaire et/ou mandibulaire de manière à leur donner une forme en fer de lance. [2]
Au Sénégal
La taille des dents se fait essentiellement chez les mandingues (Casamance) et les Bassaris (Sénégal Oriental) au sud du pays. Cette pratique concerne surtout les hommes. Il s'agit d'un biseautage du tiers incisif visant à donner une forme en pointe des incisives maxillaires et rarement des incisives mandibulaires (dents en « cônes »). Le nombre de dents taillées équivaut au degré de courage de l'initié. [4]
En Côte d’Ivoire
La canine, plus que toutes les autres dents, traduit la virilité de l’homme, elle lui confère un caractère exceptionnel de guerrier (par son aspect menaçant).
En pays Lobi, la mutilation de la canine revêt une importance spéciale dans l’initiation des jeunes gens. Son altération, à fortiori sa chute, nuit énormément à la personnalité, et l’homme peut même en nourrir un sentiment de castration. [8]
Au Niger
« Tailler » ou « limer » les dents est une pratique surtout répandue chez les Gourmentchés. Cette tradition concerne surtout les dents du bloc incisif maxillaire et/ou mandibulaire, de manière à donner à celles-ciune forme en fer de lance.
* Le diastème inter-incisif
Il s’agit d’un espace entre les dents (incisives centrales maxillaire ou mandibulaire en général) dû souvent à une microdontie (petites dents) ou à un frein labial s’insérant jusque dans la papille inter-incisive.
Au Sénégal
Très recherché et prisé, le diastème inter-incisif fait partie des canons de beauté aussi bien chez l'homme que chez la femme sénégalaise. Chez les wolofs, il est considéré comme Mayou Yalla ("don de Dieu"), et cette dénomination garde toute sa signification aujourd’hui et motive sa création artificielle par le bijoutier ou même par le chirurgien - dentiste (en prothèse adjointe partielle antérieure ou totale, mais aussi en prothèse fixée antérieure). [4]
En Côte d’Ivoire
En pays Gagou (sud-ouest de la Cote d’Ivoire), les femmes qui portent un diastème inter-incisif sont très prisées car elles seraient très amoureuses. Pour les Sénoufo (nord de la côte d’Ivoire), elles seraient même insatiables sexuellement. [8]
Chez la femme Akan (sud de la côte d’Ivoire), le diastème situé entre les incisives centrales est porte-bonheur, signe de beauté, et va rehausser le physique de la jeune fille. De même, il n’est pas rare de voir certaines jeunes filles recourir aux mutilations des incisives centrales pour obtenir un diastème inter-incisif communément appelé «la brèche centrale» car considéré comme une véritable brèche vers le chemin de l’amour.
Et lorsque les dents présentent des malformations ou des malpositions, elles seraient défavorables à l’amour.
En pays Malinké (nord-ouest), on soutien même qu’il ne faut pas se marier à une femme qui a des malformations dentaires car « ces femmes-là n’ont pas une graine de honte et ne respectent pas leur mari.» [8]
* Les labrets et / ou les disques labiaux
Autrefois, cette coutume était largement répandue sur le continent africain, et s’il s’agissait d’un acte d’embellissement pour les autochtones, les occidentaux l’ont perçu comme une mutilation et surtout comme un facteur d’enlaidissement car la forme originelle de l’organe ainsi que ses fonctions biologiques sont gravement altérées. Cette coutume a récemment été retrouvée chez des amérindiens en Amérique Latine.
Pour mettre ces labrets, les lèvres supérieures et /ou inférieures sont perforées en leur milieu ou aux commissures pour pouvoir y introduire des éléments décoratifs ou ornements labiaux.
La taille de l’orifice varie en fonction du labret qui peut être en forme : de tige, de cylindre, de plateau ou de disque. Les labrets étaient taillés dans du bois, de l’ivoire, du quartz, de l’os, etc. [2]
Selon les coutumes et les peuples, les labrets pourront ultérieurement être remplacés par des disques labiaux.
* En Afrique
Au Tchad
Chez les « Sara », entre huit et dix ans, les fillettes reçoivent leurs premiers labrets en forme de disque en bois qui, progressivement, seront remplacés par d’autres jusqu’à ce que la femme mature puisse porter des labrets plus volumineux. Dans plusieurs cultures tchadiennes, c’est le futur conjoint qui place le large labret symbolisant ainsi la prise de possession de la femme par l’homme. [3]
Ainsi, la bouche munie d’un labret joue un rôle de médiateur contrôlant l’intériorité et l’extériorité du corps.
En Ethiopie
Une des pratiques culturelles de ce pays, pour les femmes, est de se percer les lèvres inférieure et supérieure de la bouche pour pouvoir y introduire un morceau de bois. Elles laissent le trou s'agrandir jusqu'à ce que leurs lèvres deviennent de minces lanières. Ensuite, elles les étirent et installent à l'intérieur des plateaux de bois.
Les femmes à plateaux sont considérées comme étant de très belles femmes, et celle qui a les plus longs plateaux est considérée comme étant la plus désirable. [2; 3]
* En Amérique du Sud
Au Brésil
Chez les indiens Kaiapo du plateau du Brésil central (les amérindiens) qui vivent à environ 300 ou 400 mètres au-dessus du niveau de la mer, quelques jours après leur naissance, les nouveaux-nés des deux sexes vont subir la perforation du lobe de l’oreille et de la lèvre inférieure (pour les garçons) par le père. Celui-ci insère dans l’orifice labial ainsi créé une fine baguette ornée de perles de verre. A la puberté, les garçons subissent un bref rituel au cours duquel ils reçoivent un étui pénien et les labrets ornés de perles sont remplacés par des modèles de disques labiaux réduits que portent les hommes adultes. [5]
La puberté d’un garçon est symbolisée, chez les Kaiapo, par le port d’un étui pénien, de disque labial avec des cheveux longs.
Pour symboliser la maturité adulte, les petits labrets oblongs sont remplacés par un labret plat ou un disque labial d’environ 10 cm de diamètre.
Les énormes disques labiaux, typiques de la classe d’âge des « pères », sont explicitement associés à leur talent d’orateur. [5]
* Les piercings labiaux et linguaux
Contrairement aux sociétés traditionnelles, ces pratiques dissociées de toutes ritualités sociales ont peu de suites sur l’existence ultérieure de celui ou de celle qui s’y adonne. Elle donne le sentiment d’appartenance à un groupe spécifique, de prise d’autonomie, d’acte d’indépendance, de renaissance, de révolte, de « primitif » à l’intérieur de sa propre société (ce qui peut être perçu comme revalorisant pour certains). De ce fait, le rejet d’un mode de vie jugé trop classique ou trop banal incite l’individu à rejoindre ceux qui, comme lui, refusent la vision occidentale du monde. Une manière ironique de se distinguer tout en s’affiliant symboliquement comme un contre-modèle.
Notons que ces piercings, à l’instar des autochtones amérindiens, concernent les lèvres supérieure et / ou inférieure, ainsi que les commissures labiales. Le procédé reste cependant le même quand on sait qu’il faut perforer la muqueuse pour insérer le bijou.
Ces piercings linguaux et / ou labiaux sont observés depuis quelques années chez une certaine catégorie sociale (punks, rockeur, vedettes du sport ou du cinéma, etc.), qui par la suite sont imités par les adolescents (particulièrement dans les pays du tiers-monde).
* Les bijoux dentaires
* Les artifices dentaires artisanaux
Au Sénégal
Originellement, les couronnes en or étaient l'attribut des pèlerins revenant de la Mecque (lieu saint de l’Islam). Puis, progressivement, les femmes plus que les hommes y ont eu recours. Elles sont fabriquées artisanalement par les bijoutiers qui se chargent de les « mettre en bouche ». On en distingue plusieurs types :
1. Les couronnes en or (14 à 18 carats)
Elles sont placées sur les incisives, les canines ou les prémolaires supérieures ou inférieures. Uniques, doubles ou intercalées, elles sont presque toujours asymétriques. Elles étaient surtout portées par les « castés » (griots, bijoutiers, laobés). [4]
2. Les facettes en or
A défaut de couronnes en or, plus coûteuses, cette alternative est une coque métallique recouvrant la face vestibulaire des incisives supérieures ou inférieures ; elle se prolonge par 4 languettes plaquées et serrées sur la ou totale face palatine. Ces facettes étaient utilisées pour les porteurs de prothèse adjointe partielle. [4]
3. Les anneaux inter-dentaires en or
Très fréquents chez les femmes wolofs, il s’agit d’un fil doré d’environ 1 mm de large qui est coincé entre les deux incisives centrales par l'entremise des bijoutiers.
Aujourd’hui on le retrouve également chez les sérères (Bassin arachidier, centre du Sénégal) ou diolas (sud du Sénégal) ayant migré vers les grands centres urbains. [4]
Au Congo Kinshasa (ex: Zaïre)
Au sein de la population zaïroise de Kinshasa, certaines personnes – surtout les hommes – sont porteuses de « couronnes postiches » en or sur l’une ou l’autre dent frontale. Elles concernent surtout les incisives latérales et les canines. Le but recherché par les porteurs de ces prothèses est double : l’expression de leur fortune (l’or étant un métal précieux et brillant) et le snobisme. Malgré la situation sociale de ces derniers, ces couronnes postiches en or ne sont pas posées par des chirurgiens-dentistes. [6]
* les couronnes dentaires
En jetant un regard sur l’histoire de la prothèse dentaire, on se rend vite compte que la préoccupation première des édentés tant partiels que totaux est d’abord d’ordre esthétique, l’aspect fonctionnel ne venant qu’au second plan.
Mais de nos jours la course à la compétition sociale et politique impose de se montrer attrayant, charmant et doux. La prothèse adjointe partielle est laissée de côté au profit des nouvelles techniques qui rappellent les couronnes traditionnelles africaines (à la différence près que les métaux ne doivent pas être visibles).
Cependant, lorsqu’il est question de confectionner que ce soit un bridge frontal ou une couronne unitaire sur une dent antérieure, le spécialiste de la prothèse dentaire fera tout pour minimiser la visibilité du métal. Ce souci est à la base de la genèse de la couronne à incrustation vestibulaire et toutes les techniques récentes relatives aux restaurations céramo-métalliques et céramiques.
* les strass dentaires
Un strass dentaire est un bijou collé sur une dent. C’est une tendance considérée comme très glamour, et il est mis pour illuminer le sourire. Le plus souvent c’est un strass imitant le diamant ; on peut en trouver également des dorés, des colorés, des noirs, des nacrés, des brillants, des mats...
* Les colorations ou décolorations dentaires
Souvent, la couleur des dents est affectée par une multitude de facteurs, comme par exemple les habitudes alimentaires, l’âge, les restaurations qui vieillissent, ou simplement les pigments naturels.
On peut également noter une altération de la couleur de l’émail dentaire due à une exposition excessive au fluor des eaux de consommation : c’est la fluorose dentaire. Plusieurs dizaines de millions de sujets seraient concernés, dans 27 pays appartenant tous au tiers-monde. [10]
En pratique, on observe des modifications de la couleur de l'émail qui vont de petites taches de couleur blanc-crayeuse à des modifications plus importantes le rendant terne, grisâtre ou marron et tacheté.
Nous notons que c’est dans la plupart des pays où la fluorose est endémique que nous trouvons certaines pratiques qui consistent à colorer ou à décolorer les dents. Ainsi nous donnerons l’exemple du Vietnam pour la coloration et celle du Sénégal pour la décoloration dentaire.
* le laquage des dents ou « ohaguro »
C’est une coutume ancienne répandue en Asie (Japon, Malaisie, Indonésie, Philippines, Viêt-Nam...). Elle a tendance à disparaître depuis un siècle, sauf au Vietnam.
Cette coutume remonte au IIème millénaire avant J-C. Elle concerne surtout les vietnamiens du Nord et du Centre, qui sont de nature plus traditionalistes que les vietnamiens du Sud, et certaines minorités des régions montagnardes.
Au Viêt - Nam
Le principe de laquage des dents reste identique et comprend toujours deux phases : décapage des dents et application d'un vernis. Mais les méthodes employées, les couleurs et les produits sont spécifiques et propres à chaque peuple. Au Viêt-Nam, l'entretien du laquage est indispensable tous les 2 ou 3 ans.
On disait jadis que les « femmes aux dents blanches » portaient malheur, d'où la coutume de noircir les dents avec un mélange de laque, ensuite maintenu brillant avec de l'huile de coco.
Traditionnellement, il avait lieu pour la femme au moment de la sortie de sa retraite dans l'ombre, réclusion chez ses parents marquant le début de la puberté. Il a également cours pour le mariage, mais l'on peut s'en dispenser si le précédent a eu lieu. Pour l'homme, le laquage a lieu au cours de la cérémonie précédant l'ordination, pour témoigner sa loyauté vis à vis de ses supérieurs.
Matériels et produits : Autrefois, pour la fabrication du vernis, on utilisait des plantes et des fruits ; actuellement c’est plutôt le fer et le tanin qui sont utilisés. Il existe composants chimiques : le « kanemizu » et le « fusiko ». [9 ; 11]
Kanemizu : c’est le composant principal de l‘acide ferrique. Il est produit à partir d’une macération de débris de ferraille chauffée, de riz cuit, de thé, de vinaigre, de saké, de farine de blé... à laisser au moins fermenter pendant 2 mois : le liquide devient brunâtre, pâteux, et épais. [9 ; 11]
Fusiko : c’est une poudre blanche qui contient 60% d’acide tannique. Ce produit se trouve dans les feuilles de la plante appelée « le laquier ». [9 ; 11]
* le blanchiment des dents
Alors que les « femmes aux dents blanches» étaient considérées comme des porte-malheur dans la plupart des pays de l’Asie du Sud qui souffrent de fluorose endémique (Vietnam, Inde, Japon), dans d’autres zones où la fluorose dentaire était également endémique (Maghreb, certains pays d’Amérique du Sud, Sénégal, certains pays d’Afrique de l’Est), les populations dont les dents étaient colorées cherchaient à dissimuler cet aspect « marron » par diverses techniques qui souvent sont artisanales et ont des répercussions néfastes sur les muqueuses et les dents.
Au Sénégal
Pour satisfaire à l'importance esthétique des dents blanches (canon de beauté), les dents fluorotiques constituaient – même encore aujourd’hui – un véritable drame dans les zones hyperfluorées (le bassin arachidier : Kaolack, Diourbel, Fatick, situés au centre). Les femmes ont donc recours au bijoutier qui procède à l'application topique d'acide sur le bloc incisivo-canin avec des résultats passagers et des conséquences désastreuses sur le plan de la santé orale.
II – Analyse des conséquences de ces pratiques sur la santé bucco-dentaire
L’esthétique bucco-dentaire a une importance de plus en plus importante et accrue par le besoin de paraître et le souci de l’image que l’on renvoie aux autres. De nos jours, on note ce besoin chez les hommes politiques, les journalistes, les vedettes de cinéma, les personnages publics. Cependant, toutes ces pratiques – qu’elles soient traditionnelles ou modernes – ne sont pas sans effet aussi bien sur les dents que sur leurs tissus de soutien.
* Conséquences sur les tissus mous
Le tatouage labial et / ou gingival
Il est réalisé dans des conditions aseptiques douteuses : les aiguilles ne sont pas stérilisées, cela peut poser un problème de transmission de certaines bactéries ou de certaines pathologies comme le virus du Sida ou de l’hépatite B.
C’est pourquoi certains praticiens privés font appel à des « tatoueuses traditionnelles » afin d’obtenir les conditions adéquates pour effectuer le tatouage « en toute sécurité » dans les cabinets dentaires.
Le deuxième inconvénient du tatouage est que la gencive est agressée, et on provoque ainsi une réaction inflammatoire à l’origine d’une « solidification » : elle est appelée fibrose réactionnelle, et va gêner l’irrigation par les vaisseaux sanguins.
Les labrets
Il peut arriver qu’au fil du temps les muscles labiaux et faciaux se distendent et cèdent, ce qui entraîne un préjudice esthétique et moral important avec un risque hémorragique et infectieux certain.
Piercings
Notons, que ces piercings concernent, à l’instar des autochtones, les lèvres supérieure et/ou inférieure, les commissures labiales et même la langue. Le procédé reste cependant le même quand on sait qu’il faut perforer la muqueuse pour insérer des bijoux.
Le problème posé par ces pratiques est surtout lié aux conditions de mise en place de ces bijoux, d’autant qu’ils sont faits exceptionnellement chez les professionnels de santé. Les sujets sont ainsi exposés à des risques infectieux, inflammatoires, de transmission des virus de l’hépatite et du VIH.
Par ailleurs, le piercing de la langue pose non seulement des problèmes liés à l’asepsie mais également des problèmes fonctionnels (surtout lors de la déglutition et de l’articulé du langage, sachant que la langue joue un rôle majeur dans la pratique de ces différentes fonctions).
* les tissus dentaires
Diastème
Pendant qu’en Europe certains ont recours à l’orthodontie pour fermer le diastème communément appelé « dents du bonheur », en Afrique d’autres vont chez le dentiste ou les bijoutiers pour créer ce diastème. Pourtant l'impact sociologique du diastème inter-incisif pose des problèmes techniques et biologiques tant pour sa création que pour sa fermeture en denture naturelle ou grâce à des prothèses.
Sa création nécessite la destruction de tissu dentaire et la rupture parfois de points de contacts dentaires. Elle peut dans ce cas être à l’origine de sensibilité dentinaire pouvant aboutir à la mortification pulpaire à très long terme.
Sa fermeture appelle au déplacement des dents adjacentes, donc à une reconstitution de l’occlusion dentaire qui serait dérangée.
Strass dentaires
La pose de ces strass nécessite un léger grattage de l’émail dentaire et l’utilisation de colles qui pour la plupart ont des effets négatifs sur la dentine. Ainsi, ces bijoux peuvent être à l’origine de l’augmentation du potentiel cariogène de l’individu qui les porte car ils créent des zones de rétention favorisation un bourrage alimentaire, des zones difficiles d’accès pour la brosse à dents, un déséquilibre de l’écosystème endo-buccal favorisant la création de la plaque dentaire.
Couronnes artisanales
La pose des couronnes ne respecte pas la physiologie endo-buccale, la dent étant taillée de manière anarchique sans respect des protocoles de taille souvent très complexes, d’où la surrocclusion souvent à l’origine de la perte de la dent (par mobilité). Les surcharges occlusales entraînent des microtraumatismes qui détruisent les tissus de soutien de la dent, d’où les mobilités. On peut aussi noter le syndrome du septum qui souvent est à l’origine d’halitose et d’infections dûes au bourrage alimentaire et le syndrome algo-dysfonctionnel de l’appareil manducateur dû à la sensation de « dents longues » ou surocclusion. La plupart des matériaux utilisés (sauf l’or) est en général inadaptée, d’où des problèmes de biocompatibilité. La corrosion endo-buccale de ces métaux (chimique et électrochimique) entraîne la plupart du temps des lésions de la muqueuse buccale, des allergies aux métaux, etc.
Conclusion
Pour une meilleure prise en charge de la santé orale, il est important d’avoir une connaissance des facteurs anthropologiques et sociaux qui influencent la perception que l'homme a de son esthétique bucco-dentaire.
Si dans les sociétés dites « traditionnelles » certaines pratiques permettaient une certaine hiérarchisation – surtout chez les hommes – ou l’obtention d’un certain esthétisme – chez la femme –, dans nos sociétés actuelles « modernes ou évoluées », ces pratiques se font surtout dans un contexte de recherche d’une singularité et d’un esthétisme – aussi bien chez les femmes que chez les hommes.
Chaque individu est un être à part entière, ayant sa propre histoire personnelle ; sa perception et l’expression de l’esthétique dépendent du sens qu'il lui donne. Ceci pouvant être le reflet de ce que l'homme est au profond de lui-même ou de ce qu'il est devenu, aussi bien à travers l'histoire de ses ancêtres, de son groupe ethnique, qu'à travers ses croyances, son entourage social et aussi selon l'âge, le sexe, le niveau social et le contexte dans lequel il vit.
Dans la plupart des pays européens, il existe des professionnels de la santé dentaire appelés hygiénistes dentaires qui jouent un rôle déterminant dans l'éducation de la population quant à l'acquisition, au contrôle, et au maintien d'une bonne santé bucco-dentaire.
Il est nécessaire de développer cette filière dans les pays du tiers-monde. Ainsi, ils pourront jouer un rôle important en :
* collaborant avec les praticiens traditionnels afin de promouvoir la santé bucco-dentaire des couches sociales vulnérables ;
* conseillant les populations pour l’entretien de ces artifices dentaires (séances d’information, d’éducation et de communication), car la plupart des gens méconnaissent les répercussions de ces pratiques sur leur santé bucco-dentaire
* organisant avec le concours des praticiens traditionnels les conditions de mise en œuvre de ces pratiques (en les incitant à respecter les règles d’hygiènes et d’asepsie).
Références
1. Assoumou N.M., Gnagne-Koffi N.D.Y., Adou J., Assoumou A.A., Mansila-Abouattier E.C. Concept traditionnel de l’esthétique chez la femme Akan en Cote d’ivoire. Odonto-stomatologie tropicale 2007 ; 34(8) : 45-51
2. Falgayrettes-Leveau C. Signes du corps. Dapper, Paris, 2004
3. Falgayrettes-Leveau C. Corps sublimes. Dapper, Paris, 1994
4. Gaye F, Kane A, Ndoye-Diop M. Esthétique bucco-dentaire en milieu traditionnel au Sénégal. Odonto-stomatologie tropicale 2007 ; 24(3) : 21-27
5. Verswijjver G. Kaiapo, Amazonie : plumes et peintures corporelles. Musée royal d’Afrique Centrale. Tervuren, Paris, 1998
6. Kadiata M, Ntumba M.K. La visibilité de l’or prothétique sur une dent frontale rend-elle un sourire radieux ou bien ne constitue-t-elle pas une expression de fortune ? Médecine d'Afrique Noire 1993 ; 40(7) : 93-99
7. Diallo P.D., Diallo-Seck A.M., Sembene M., Ngom-Ndoye M.N.D., Moreau J.L., Diene A. Le tatouage gingival au Sénégal : le “pimpi”. Incidence sur le parodonte du carbone. Odonto-stomatologie tropicale 2006 ; 21(8) : 45-49
8. Toure S., Djeredou K. Considérations socioculturelles et esthétique en prothèse fixée. 1er Congrès dentaire international de l’A.D.B.F. Ouaga, 6-9 fevrier 2007
9. www.bium.univ-paris5.fr/sfhad/vol10/article07
10. www.unicef.org/programme/wes/info/fluor.htm
11. www.limsi.fr/Individu/dang/webvn/traditio.htm
Jérôme Palazzolo, Psychiatre libéral, Professeur au Département Santé de l’Université internationale Senghor, Opérateur direct de la Francophonie (Alexandrie, Egypte), Chercheur associé au LASMIC (Laboratoire d’Anthropologie et de Sociologie) Université de Nice – Sophia Antipolis
Christian Mésenge, Directeur du Département Santé de l’Université internationale Senghor, Opérateur direct de la Francophonie (Alexandrie, Egypte)