La désuétude conceptuelle – abandon ou transformation ?
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du Lundi 31 Août 2020 au Jeudi 1 Octobre 2020
Philosophia Scientiæ
Description
Philosophia Scientiæ lance un appel à contributions pour un numéro spécial sur le thème suivant:

La désuétude conceptuelle – abandon ou transformation ? 26/1 (février 2022)
Éditeurs invités : Perceval Pillon & Caroline Angleraux
Date limite de soumission : 01/10/2020
Date de notification: 01/01/2021
Version finale : 01/07/2021

Lorsqu'elle étudie les concepts et les objets scientifiques dans leur historicité, la philosophie des sciences tend à adopter une proposition bivalente : sont étudiés soit l'émergence et la persistance d'un concept, soit son abandon. Dans ce cadre général, Chang écrit par exemple : « En examinant l'historicité des objets épistémiques, je commence par une énigme : pourquoi certains objets épistémiques meurent quand d'autres survivent ? » A cela, nous voudrions ajouter une question : comment penser la désuétude des concepts ?

En effet, sans être synonyme de fausseté, la désuétude qualifie ce qui se révèle inadapté et vieilli dans un contexte nouveau, ou tout du moins plus récent. En épistémologie, la désuétude désignerait donc l'ensemble des idées et des concepts passés de mode car péchant par manque d'utilité, de rationalité ou de signification. En d'autres termes, est désuet le concept dont au moins l'utilité, la rationalité ou la signification ne sont plus reconnues. La cybernétique par exemple, ayant connu de belles heures, semble être aujourd’hui tombée en désuétude par un déclin d’utilité, sans pourtant que sa rationalité ou sa signification conceptuelle soient entamées. De même, le paradigme localisationniste en neuropsychologie voit sa signification remise en question par la théorie de la plasticité cérébrale, sans pour autant que sa rationalité ou son utilité ne semblent être questionnées. En cela, ce qui tombe en désuétude n’est pas ce qui est scientifiquement invalidé (ainsi, la théorie des humeurs en médecine n’est pas désuète : elle est invalide).

Par conséquent, sont désuets les objets laissés pour compte par la science qui se fait sans pour autant être invalidés et dont la désuétude peut être due à une remise en cause de leur utilité, de leur rationalité ou de leur signification. A ce titre, le statut épistémique des concepts désuets demeure ambivalent : si ces derniers ne fonctionnent plus, sont-ils simplement à reléguer dans le Musée des Idées Passées ? Mais, si de - et contre - leur opérativité déclinante naissent des concepts plus adéquats, les concepts déclarés désuets ne jouent-ils pas un rôle épistémique leur garantissant une efficacité d’une autre nature ? De surcroît, la persistance de certains de ces concepts en dépit de leur désuétude pose question ! En effet, on peut voir des concepts un temps considérés comme désuets resurgir et prendre place dans les théories scientifiques actuelles. Comment alors penser ces concepts et leur historicité ? Peut-on offrir une meilleure explication de l’historicité de la science et de l’abandon des concepts qu’une forme d’« induction pessimiste[1] » ?

Une réflexion pourra aussi s’engager autour de la question de la nature des objets désuets. Il est jusqu’ici question de concepts, mais la littérature parle aussi d’objets scientifiques ou d’objets épistémiques[2]. Parler d’objets épistémique en suivant Rheinberger pour mettre l’accent sur leur matérialité ou d’objets scientifique pour plus de généralité sont autant d’approches pertinentes. Effectivement, ces objets, suivant qu’ils soient concepts, éléments d’une théorie (modèles, propositions, axiomes, etc.), objets épistémiques ou encore objets techniques, rémanence d’une science réifiée, ont un rapport spécifique, respectivement, à la désuétude.
L’objectif de ce numéro est d’étudier le statut des concepts désuets de manière pluridisciplinaire, au travers de réflexions dans des domaines variés de la philosophie des sciences. Ces études pourront s’attacher à des concepts précis (en préférant ceux dont l’examen ne fait pas déjà date), en tant qu’ils ont participé à des théories qui se passent aujourd’hui d’eux. Ces études pourront aussi développer des interrogations plus larges sur leur opérabilité, comme par exemple la question de la valeur d’un concept dépassé pour la tenue de politiques publiques – l’écologie se présente en ce sens comme un domaine riche d’exemples de décalages entre recherche scientifique et utilisation des concepts dans le domaine public. On peut aussi penser à l’interface existant entre la technique et la science ; en informatique par exemple, la succession des programmes de recherche et de leurs concepts clé est partiellement tributaire des outils techniques. D’ailleurs, dans ce rapport entre science et technique, l’implémentation pratique peut préférer des concepts considérés comme désuets d'un point de vue théorique ; par exemple, les modèles de pollution radiologique se fondent sur des concepts dont l’opérativité est théoriquement discutée mais dont l’adoption pratique perdure.

Outre une volonté de cerner l’objet de la désuétude en science, on pourra s’intéresser aux questions suivantes :
- Que faire des concepts désuets ? Ne sont-ils plus que des objets historiques ?
Par quels mécanismes des concepts tombent-ils en désuétude ? (coutume ? manque de rationalité démontrée ?)
Comment considérer la persistance avérée de concepts désuets que la communauté scientifique a pourtant réfutés ?
• Une théorie peut-elle partiellement tomber en désuétude ? Si tel est le cas, comment la partie théorique abandonnée nous offre-t-elle un éclairage pertinent sur celle qui a été conservée?
• La désuétude conceptuelle peut-elle faire l’objet d’une déclaration de principe ? Ou n’est-elle constatée qu’a posteriori ?
• Qui déclare la désuétude d’un concept ? La communauté scientifique ou le philosophe des sciences ? Dans ce dernier cas, dans quelle mesure la conception générale de l’histoire des sciences pour laquelle nous optons détermine les critères de la désuétude?
• Comment considérer les concepts déclarés désuets qui connaissent finalement un retour en grâce ? Dans quelle mesure un nouveau contexte modifie-t-il leur contenu ? Plus généralement, quel regard sur l’histoire des sciences la réhabilitation de concepts désuets fait-elle porter ?

[1] Laudan(1981)

[2] Cf Arabatzis (2011), (Rheinberger 1997) et Chang (2011)

Bibliographie
Arabatzis, T. (2011). On the Historicity of Scientific Objects. Erkenntnis, 75, 377–390.
Chang, H. (2011). The Persistence of Epistemic Objects Through Scientific Change. Erkenntnis, 75, 413–429.
Clain, O. et Marsalek, J. (2016). Editorial: Transformation, Degradation, Disappearance of Scientific Objects. Teorie vedy/Theory of Science, 38 (3), 263-268.
Daston, L. (2000). Can scientific objectivity have a history?. Mitteilungen der Alexander-von-Humboldt-Stiftung, 75, 31–40.
Daston, L. (ed.) (2000). Biographies of Scientific Objects, Chicago : University of Chicago Press.
Laudan, Larry. 1981. “A Confutation of Convergent Realism.” Philosophy of Science, 48: 19–49
Mizrahi, M. (2013). What Is Scientific Progress? Lessons from Scientific Practice. Journal for General Philosophy of Science / Zeitschrift Für Allgemeine Wissenschaftstheorie, 44 (2), 375-90.
Pickstone, J. (2011) Ways of Knowing. A new History of Science, Technology, Medicine, Chicago : University of Chicago Press.
Rheinberger, H.J. (1997) Toward a History of Epistemic Things, Stanford: Stanford University Press.
Soler L., Trizio E.,Pickering A.. (2015). Science as It Could Have Been: Discussing the Contingency/Inevitability Problem. Pittsburgh : University of Pittsburgh Press.


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