Cartographie alternative : usages et dispositifs
Infos pratiques
le Vendredi 15 Mars 2019
Description
Le dessin cartographique, quelles qu’en soient ses expressions, des plus simples aux plus complexes, sert depuis toujours les raisons pratiques ou idéologiques d’une volonté de représenter la terre, le ciel et les mers. Bien qu’elle soit généralement associée à une objectivité scientifique et donc naturalisée, la carte « surplombante » relève bien sûr d’une construction et de choix de représentation, l’artefact par lequel l’imaginaire donne forme aux territoires et délimite les contours d’une réalité nécessairement appréhendée depuis le point de vue des cartographes.

Les artistes-arpenteurs ont été les premiers, déjà dans les années 50, à proposer des figurations de leurs chemins de traverse, invitant à penser et à expérimenter autrement la carte et l’espace. La cartographie subjective constituait alors incontestablement une démarche critique nécessaire qui a permis de revoir la manière dont la modernité a pensé et planifié la ville (Debord). Elle a également permis d’atteindre pleinement la dimension sensible et appropriative de l’acte d’habiter (De Certeau), en recueillant les paroles vivantes qui façonnent les lieux et la représentation que s’en font leurs habitants, même en transit (Stalker). C’est ainsi que dans une approche contemporaine de la cartographie comme mode de figuration de l’espace géo-politique, il est aujourd’hui important de distinguer, par le recours à la langue anglaise, ce qui relève de la production à travers le terme dynamique de mapping (Karen O’Rourke), de ce qui, par opposition avec le terme cartography, désigne une forme plus statique.

C’est avec la montée en puissance des études féministes et post-coloniales dans les années 70, de l’apparition de la contre-cartographie au milieu des années 90, puis l’invention de la géocritique et de la pensée décoloniale des années 2000 que sont nées, par l’action conjuguée d’artistes et de chercheurs de tous horizons, des cartographies expérimentales, alternatives et subversives, issues du monde de l’art mais aussi de la recherche ou des actions politiques de terrain telles qu’elles s’expriment plus que jamais aujourd’hui dans différents contextes. C’est d’ailleurs parce que la cartographie a été l’outil de « stabilisation » du monde, des États-Nations et de leurs frontières, que l’étude de ces dernières inclut aujourd’hui de nouveaux régimes de visibilité que sont les cartes produites non plus seulement par les géographes ou les chercheurs en sciences sociales mais aussi par les collectifs d’artistes. À titre d’exemple, on pensera aux cartes des mouvements conceptuels américains, certaines se définissant par leur négativité ou encore par une action vécue dans laquelle l’unité naturalisée du territoire disparaît sous la description objective. L’apparition des nouvelles technologies infléchira bien évidemment ces nouveaux régimes de visibilité, non pas tant en termes de progrès techniques mais dans la manière de réfléchir les frontières elles-mêmes. On pourrait encore citer les travaux du groupe espagnol Hackitectura ou encore ceux de Forensic Architecture, regroupement international d’artistes, d’architectes, d’urbanistes, de philosophes, de designers et d’avocats qui se mettent au service de l’enquête sur de sombres affaires et autres crimes de guerre, pointant les exactions commises dans des zones de conflits et dont les reconstitutions minutieuses permettent de porter certaines affaires au Tribunal pénal international de La Haye, à l’instar de ce récent appel à témoin passé suite au meurtre de l’activiste militant LGBT Zak Kostopoulos à Athènes le 21 septembre 2018. C’est à partir de ces innombrables exemples qu’un artiste et géographe comme Trevor Paglen a tissé la notion de « géographie expérimentale » dont la particularité, ici encore, est d’exprimer ses spécificités à travers une suite d’expositions et de conférences de chercheurs et d’artistes provenant d’horizons multiples et offrant à la question plus générale des frontières, une coloration résolument nouvelle.

Si ces exemples sont désormais bien connus en tant qu’objets de recherche toutes disciplines confondues, et ont en grande partie déjà été publiés et exposés au sein du programme l’antiAtlas des frontières ainsi que dans d’autres programmes de recherche comme La Fin des cartes ? Territoires rêvés, territoires normalisés, ils ont surtout permis d’envisager la carte comme une pratique et une méthode pour qui veut aborder le monde à travers un nouveau point de vue que l’on ne peut désormais plus ignorer : celui des images en migration et, plus généralement, de ce qu’Arjun Appadurai nomme les ethnoscapes, modèles essentiels pour comprendre la nature des relations que les déplacements des personnes en perpétuel transit entretiennent encore à leur propre culture et ce, malgré la diversité des sols qu’ils foulent.

Ce prochain numéro de L’antiAtlas Journal voudrait donc creuser plus loin le sillon pour que la carte n’y soit plus seulement envisagée comme objet, outil, pratique ou méthode mais bien comme dispositif permettant d’accompagner la réflexion sur la question des déplacements migratoires et des exils qui doivent aujourd’hui être au cœur de nos préoccupations. Penser la carte comme un dispositif (Foucault, Deleuze, Agamben), c’est bien sûr la resituer dans le processus à la fois théorique, technologique et opératoire dont elle est une manifestation et un élément. C’est la considérer non seulement comme la représentation seconde d’une réalité préalablement donnée, mais comme un agencement qui contribue à produire son objet, articule des intentions et des intérêts, génère et oriente des conduites. C’est enfin reconnaître qu’au-delà des représentations cartographiques se déploie un champ complexe, une tessiture spatiale objective où s’entrelacent un ensemble de systèmes plus ou moins combinés ou articulés – imagerie satellite, captation spatiale des données, géolocalisation, technologies de la mobilité. Cette tessiture spatiale est indissociable de pratiques cartographiques complexes et immergées dans le quotidien qui déploient des formes nouvelles d’inscription des individus dans l’espace et contribuent à structurer leurs relations. De nouveaux usages de l’espace ont aujourd’hui émergé, où se combinent des pratiques, des savoirs, des stratégies d’action qui transforment et déplacent la façon dont on peut penser ce qu’il est convenu d’appeler le « territoire ».

Calendrier
Date limite de l’envoi des propositions : 15 mars 2019.
Les propositions de contribution sont à envoyer en français ou en anglais. Compte tenu de la forme éditoriale spécifique d’antiAtlas Journal, elles incluront un texte de 1000 mots et un part substantielle d’éléments iconographiques et/ou multimédia (photographies, vidéos, graphiques, dessins, cartes, enregistrements audio, etc.). Le document sera au format PDF. Il est à adresser par mail aux coordonnateurs du numéro : Jean Cristofol et Anna Guilló, aux deux adresses suivantes : cristo@plotseme.net ou annaguillo@ gmail.com.

Sélection des contributeurs : 1er mai 2019.

Envoi des articles définitifs (entre 6000 et 8000 mots + éléments iconographiques et multimédia) : 1er septembre 2019.
Publication de la version française et anglaise de l’antiAtlas Journal n°4 : décembre 2019.

A retrouver sur le site de l’antiAtlas Journal

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Photographie © Anna Guilló, 2018