Polyptyque. Pour une anthropologie communicationnelle des images

Pascal Robert



Extrait

La «communication» au miroir de la peinture hollandaise du XVIIe siècle 
De la suspension de l'incommunication à la suspension sémiotique

Que peint la peinture ? Question trop vaste et trop ardue que l'on ne peut poser que pour mieux la réduire : autrement dit, pour ce qui nous concerne, la peinture peint-elle quelque chose que l'on pourrait renvoyer à la notion de «communication» ? Inversement, la peinture, que l'on est tenté de définir comme «classique», en ce sens qu'elle ne relève pas forcément de l'art moderne ou contemporain, mais aussi la peinture tout court, comme mode d'expression artistique lié à certains types de supports, est-elle un objet légitime des sciences de l'information et de la communication (SIC) ? Si cette discipline s'intéresse beaucoup à l'image, c'est avant toute chose aux images produites par des machines, de la photographie à internet en passant par l'ordinateur et la télévision notamment. Mais il semble que la peinture, en tant que telle, soit laissée aux historiens de l'art. Ce qui est certes légitime, mais ne devrait pas nous dissuader, notamment en nous appuyant sur leurs travaux, de nous y frotter, car après tout ses images - diffusées par la gravure - ont été dominantes dans nos sociétés pendant de nombreux siècles, et les comprendre à travers nos catégories devrait nous aider à mieux penser les «images», quelles qu'elles soient. Il ne s'agit pas pour autant, pour nous, de nous interroger sur sa capacité à être un outil de communication dans une société - question on ne peut plus légitime d'ailleurs -, mais de chercher à savoir si elle peint la «communication» et, en l'occurrence, une «communication» relationnelle, interpersonnelle. Ce qui, au passage, revient également à réhabiliter un mode de communication somme toute plutôt négligé par les SIC, qui semblent accepter de l'abandonner à la psychologie sociale.
On ne peut, bien évidemment, pas travailler sur la peinture en général, sur tous les types, supports, genres etc. Comme nous visons à discerner la manière dont la peinture a rendu compte de la «communication» - mot que nous utilisons en première approximation et sur lequel nous reviendrons - il paraît pour le moins pertinent de nous arrêter sur une peinture qui soit, a priori, la plus proche de la mise en scène de la relation interpersonnelle, qui la décrive potentiellement au plus près. Décrire, tel est, justement, le maître-mot utilisé par S. Alpers, dans un ouvrage désormais classique, pour analyser la manière dont la peinture hollandaise du XVIIe siècle peint, c'est-à-dire ce qu'elle peint et comment elle le peint. Cette peinture propose, selon Alpers, un art de dépeindre qui est censé rendre compte du réel visible, en cohérence avec une véritable culture visuelle qui touche également la définition scientifique de ce que c'est que voir dans cette société. Kepler parle ainsi de la rétine comme peinture, alors que les peintres prétendent donner à voir directement ce que l'oeil voit. Cette peinture, en tant qu'art de dépeindre, qui ne recouvre pas toute la peinture hollandaise pour autant (dont une partie met volontiers en scène de la mythologie, notamment), se distingue d'une peinture italienne qui, là encore, de manière dominante mais non exclusive, brosse beaucoup plus volontiers des thèmes religieux et antiques. Cette peinture hollandaise, qui travaille à donner sa pleine visibilité au quotidien, devrait plus que tout autre - c'est notre hypothèse - porter la question de la «communication» ou, à tout le moins, la mettre en scène et pour reprendre, une nouvelle fois, le vocabulaire d'Alpers, la dépeindre.
 

Présentation de l'éditeur

Pour une anthropologie communicationnelle des images

Ce livre se veut une exploration du polyptyque que déploient nos images dans leur diversité. On peut y entrer par n'importe quel chapitre, sauf le dernier qui s'offre comme une synthèse. Inévitablement pluridisciplinaire, cette anthropologie communicationnelle s'ouvre sur l'histoire de l'art, la sociologie, la sémiotique, la philosophie politique tout autant que les SIC. Elle s'intéresse à des images de peinture comme à des images «machinées» par la photographie, le cinéma ou l'informatique, à des images de la culture cultivée comme aux images plus triviales d'aujourd'hui, celles des jeux vidéo, de la bande dessinée ou de la télévision. 
Cette anthropologie se veut communicationnelle, non pour dire que «ça communique», mais qu'il en va d'une aptitude des images à mettre en scène et/ou à conjurer la logique de l'incommunication et à gérer ce que l'on appelle ici le «paradoxe de la simultanéité». Loin d'être isolée, la question du numérique est alors réinscrite dans une anthropologie globale des images qui prête attention à leur matérialité comme aux jeux de leurs signes et qui en offre, au final, une approche comparatiste raisonnée.

Pascal Robert est professeur en sciences de l'information et de la communication à l'École nationale supérieure des sciences de l'information et des bibliothèques (Enssib-Université de Lyon). Il est membre du laboratoire Elico. Ses travaux visent à décrypter les enjeux politiques et cognitifs de l'informatisation de la société et à élaborer une anthropologie des images, dans le cadre de laquelle il va également publier un livre sur la bande dessinée.

Lundi 25 Janvier 2016